Texte : G. Flaubert, Madame Bovary, 1857
Emma Bovary, épouse d'un officier de santé, étouffe dans sa vie monotone et pour tromper son ennui, elle prend un amant, Rodolphe, avec lequel elle rêve de folles escapades. Mais cette liaison commence à peser à Rodolphe qui se décide à rédiger une lettre de rupture…
- Allons, se dit-il, commençons !Il écrivit :
" Du courage, Emma ! du courage ! Je ne veux pas faire le malheur de votre existence… "
- Après tout, c'est vrai, pensa Rodolphe ; j'agis dans son intérêt, je suis honnête.
" Avez-vous mûrement pesé votre détermination ? Savez-vous l'abîme où je vous entraînais, pauvre ange ? Non, n'est-ce pas ? Vous alliez confiante et folle, croyant au bonheur, à l'avenir… Ah ! malheureux que nous sommes ! insensés ! "
Rodolphe s'arrêta pour trouver ici quelque bonne excuse.- Si je lui disais que toute ma fortune est perdue ? … Ah ! non, et, d'ailleurs , cela n'empêcherait rien. Ce serait à recommencer plus tard. Est-ce qu'on peut faire entendre raison à des femmes pareilles ?Il réfléchit, puis ajouta :
" Je ne vous oublierai pas, croyez-le bien, et j'aurai continuellement pour vous un dévouement profond ; mais un jour, tôt ou tard, cette ardeur (c'est là le sort des choses humaines) se fût diminuée, sans doute ! il nous serait venu des lassitudes, et qui sait même si je n'aurais pas eu l'atroce douleur d'assister à vos remords et d'y participer moi-même, puisque je les aurais causées. L'idée seule des chagrins qui vous arrivent me torture, Emma ! Oubliez-moi ! Pourquoi faut-il que je vous aie connue ? Pourquoi étiez-vous si belle ? Est-ce ma faute ? O mon Dieu ! non, non, n'en accusez que la fatalité ! "
- Voilà un mot qui fait toujours de l'effet, se dit-il.
" Ah ! si vous eussiez été une de ces femmes au cœur frivole comme on en voit, certes, j'aurais pu, par égoïsme, tenter une expérience alors sans danger pour vous. Mais cette exaltation délicieuse, qui fait à la fois votre charme et votre tourment, vous a empêché de comprendre, adorable femme que vous êtes, la fausseté de notre position future. Moi non plus, je n'y avais pas réfléchi d'abord, et je me reposais dans l'ombre de ce bonheur idéal comme à celle du mancenillier, sans prévoir les conséquences. "
- Elle va peut-être croire que c'est par avarice que j'y renonce…Ah ! n'importe ! tant pis, il faut en finir !
" Le monde est cruel, Emma. Partout où nous eussions été, il nous aurait poursuivis. Il vous aurait fallu subir les questions indiscrètes, la calomnie, le dédain, l'outrage peut-être. L'outrage à vous ! Oh !… Et moi qui voudrais vous faire asseoir sur un trône ! Moi qui emporte votre pensée comme un talisman ! car je me punis par l'exil de tout le mal que je vous ai fait. Je pars. Où ? Je n'en sais rien, je suis fou ! Adieu ! Soyez toujours bonne ! Conservez le souvenir du malheureux qui vous a perdue. Apprenez mon nom à votre enfant, qu'il le redise dans ses prières. "
La mèche des deux bougies tremblait. Rodolphe se leva pour aller fermer la fenêtre, et quand il se fut rassis :- Il me semble que c'est tout. Ah ! encore ceci, de peur qu'elle ne vienne me relancer :
" Je serai loin quand vous lirez ces tristes lignes ; car j'ai voulu m'enfuir au plus vite afin d'éviter la tentation de vous revoir. Pas de faiblesse ! Je reviendrai, et peut-être que plus tard, nous causerons ensemble très froidement de nos anciennes amours. Adieu ! "
Et il y avait un dernier adieu, séparé en deux mots : A Dieu ! ce qu'il jugeait d'excellent goût.
- Comment vais-je signer, maintenant ? se dit-il. Votre tout dévoué… Non. Votre ami ?…Oui, c'est cela.
Il relut la lettre. Elle lui parut bonne.
venerdì 16 febbraio 2007
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