Chateaubriand : extrait de la Préface testamentaire, tome I des Mémoires d'Outre-Tombe, 1850
Quand la mort baissera la toile entre moi et le monde, on trouvera que mon drame se divise en trois actes.
Depuis ma première jeunesse jusqu'en 1800, j'ai été soldat et voyageur ; depuis 1800 jusqu'en 1814, sous le Consulat et l'Empire, ma vie a été littéraire ; depuis la Restauration jusqu'à aujourd'hui, ma vie a été politique.
Dans mes trois carrières successives, je me suis toujours proposé une grande tâche : voyageur, j'ai aspiré à la découverte du monde polaire ; littérateur, j'ai essayé de rétablir la religion sur ses ruines ; homme d'état, je me suis efforcé de donner aux peuples le vrai système monarchique représentatif avec ses diverses libertés : j'ai du moins aidé à conquérir celle qui les vaut, les remplace, et tient lieu de toute constitution, la liberté de la presse. Si j'ai échoué dans mes entreprises, il y a eu chez moi faillance de destinée. Les étrangers qui ont succédé dans leurs desseins furent servis par la fortune ; ils avaient derrière eux des amis puissants et une patrie tranquille : je n'ai pas eu ce bonheur.
Des auteurs modernes français de ma date, je suis quasi le seul dont la vie ressemble à ses ouvrages : voyageur, soldat, poète, publiciste, c'est dans les bois que j'ai chanté les bois, sur les vaisseaux que j'ai peint la mer, dans les camps que j'ai parlé des armes, dans l'exil que j'ai appris l'exil, dans les cours, dans les affaires, dans les assemblées, que j'ai étudié les princes, la politique, les lois et l'histoire. Les orateurs de la Grèce et de Rome furent mêlés à la chose publique et en partagèrent le sort. Dans l'Italie et l'Espagne de la fin du Moyen âge et de la Renaissance, les premiers génies des lettres et des arts participèrent au mouvement social. Quelles orageuses et belles vies que celles de Dante, de Tasse, de Camoëns, d'Ercilla, de Cervantès ! [.]
Si j'étais destiné à vivre, je représenterais dans ma personne, représentée dans mes mémoires, les principes, les idées, les événements, les catastrophes, l'épopée de mon temps, d'autant plus que j'ai vu finir et commencer un monde, et que les caractères opposés de cette fin et de ce commencement se trouvent mêlés dans mes opinions. Je me suis rencontré entre les deux siècles comme au confluent de deux fleuves ; j'ai plongé dans leurs eaux troublées, m'éloignant à regret du vieux rivage où j'étais né, et nageant avec espérance vers la rive inconnue où vont aborder les générations nouvelles.
Chateaubriand, Préface testamentaire, MOT
venerdì 16 febbraio 2007
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