Résumé de: Mémoires d'ADRIEN"
Cette œuvre, qui est à la fois roman, histoire, poésie, a été saluée par la critique française et mondiale comme un événement littéraire. En imaginant les Mémoires d'un grand empereur romain, l'auteur a voulu « refaire du dedans ce que les archéologues du XIXe siècle ont fait du dehors ». Jugeant sans complaisance sa vie d'homme et son œuvre politique, Hadrien n'ignore pas que Rome, malgré sa grandeur, finira un jour par périr, mais son réalisme romain et son humanisme hérité des Grecs lui font sentir l'importance de penser et de servir jusqu'au bout.« ... Je me sentais responsable de la beauté du monde », dit ce héros dont les problèmes sont ceux de l'homme de tous les temps : les dangers mortels qui du dedans et du dehors confrontent les civilisations, la quête d'un accord harmonieux entre le bonheur et la « discipline auguste », entre l'intelligence et la volonté.
Marguerite Yourcenar (1903-1987)[Marguerite de Crayencour]
Mémoires d'Hadrien [1951]
quelques ... "perles"..
Il est difficile de rester empereur en présence d'un médecin, et difficile aussi de garder sa qualité d'homme. (page.11)
Je ne suis pas encore assez faible pour céder aux imaginations de la peur, presque aussi absurdes que celles de l'espérance, et assurément beaucoup plus pénibles... Je n'en suis pas moins arrivé à l'âge où la vie, pour chaque homme, est une défaite acceptée. (p.12)
Il n'est pas indispensable que le buveur abdique sa raison, mais l'amant qui garde la sienne n'obéit pas jusqu'au bout à son dieu. ..tout démarche sensuelle nous place en présence de l'Autre, nous implique dans les exigences et les servitudes du choix. (p.20)
Il me déplait qu'une créature croie pouvoir escompter mon désir, le prévoir, mécaniquement s'adapter à ce qu'elle suppose mon choix. (p.24)
L'homme qui ne dort pas, je n'ai depuis quelques mois que trop d'occasions de le constater sur moi-même, se refuse plus ou moins consciemment à faire confiance au flot des choses. (p.28)
Je m'accommoderais fort mal d'un monde sans livres, mais la réalité n'est pas là, parce qu'elle n'y tient pas tout entière. (p.31)
Je ne méprise pas les hommes. Si je le faisais, je n'aurais aucun droit, ni aucune raison, d'essayer de les gouverner. Je les sais vains, ignorants, avides, inquiets, capables de presque tout pour réussir, pour se faire valoir, même à leurs propres yeux, ou tout simplement pour éviter de souffrir. Je le sais : je suis comme eux, du moins par moments, ou j'aurais pu l'être. (p.51)
Notre grande erreur est d'essayer d'obtenir de chacun en particulier les vertus qu'il n'a pas, et de négliger de cultiver celles qu'ils possède. (p.51)
Presque tous méconnaissent également leur juste liberté et leur vraie servitude... Pour moi, j'ai cherché la liberté plus que la puissance, et la puissance seulement parce qu'en partie elle favorisait la liberté. (p.52)
Je cherchai d'abord une simple liberté de vacances, des moments libres. Toute vie bien réglée a les siens, et qui ne sait pas le provoquer ne sait pas vivre. (p.53)
J'ai compris que peu d'hommes se réalisent avant de mourir. (p.100)
C'est insulter les autres que de paraître dédaigner leurs joies. (p.119)
Quand on aura allégé le plus possible les servitudes inutiles, évité les malheurs non nécessaires, il restera toujours, pour tenir en haleine les vertus héroïques de l'homme, la longue série des maux véritables, la mort, la vieillesse, les maladies non guérissables, l'amour non partagé, l'amitié rejetée ou trahie, la médiocrité d'une vie moins vaste que nos projets et plus terne que nos songes: tous les malheurs causés par la divine nature des choses. (p.127)
Je doute que toute la philosophie du monde parvienne à supprimer l’esclavage : on en changera tout au plus le nom. (p.129)
Chaque homme à éternellement à choisir, au cours de sa vie brève, entre l'espoir infatigable et la sage absence d'espérance, entre les délices du chaos et celles de la stabilité, entre le Titan et l'Olympien. (p.151)
(Editions Gallimard. Collection Folio)
mercoledì 16 maggio 2007
mercoledì 9 maggio 2007
Une très intéressante série d'activités sur:
http://www.form-a-com.org/article.php3?id_article=5
voir:
Zola et le naturalisme
1. Quelques éléments biographiques.Emile Zola est né à Paris en 1840. Son père est un ingénieur civil d'origine vénitienne. Sa famille s'installe à Aix-en-Provence en 1843. Emile y passe sa jeunesse. Son père meurt en 1847: c'est le début des difficultés financières pour la famille, qui s'installe de nouveau à Paris en 1858. L'année suivante, le jeune Zola abandonne ses études. Il travaille successivement à l'administration des docks et chez l'éditeur Hachette. A partir de 1868, il commence une carrière comme journaliste politique. Il se marie en 1870, mais à partir de 1887, il mène une double vie avec une maîtresse, qui lui donnera deux enfants.
Entre-temps, il s'est lié d'amitié avec le peintre Paul Cézanne et avec les grands écrivains de son époque tels que Guy de Maupassant, Gustave Flaubert, Alphonse Daudet, Stéphane Mallarmé et Ivan Tourgeniev. Il commence à publier des oeuvres littéraires à partir de 1860 par exemple, Contes à Ninon, une oeuvre d'inspiration romantique et Thérèse Raquin, un roman déjà influencé par le naturalisme. Vers 1868, Zola s'est lancé dans le cycle des Rougon-Macquart, une série de 20 romans dans lesquels il veut étudier l'Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire. Cette oeuvre majeure comporte des titres célèbres tels que L'Assommoir (l'alcoolisme des ouvriers), Germinal (le monde des mineurs) et La Bête humaine ( le monde des chemins de fer).
Le 13 janvier 1898, Zola prend la défense du capitaine Dreyfus dans J'accuse... !, un article historique publié dans le journal L'Aurore. Cette prise de position lui vaudra une année d'exil en Angleterre. Zola meurt à Paris en 1902. Ses cendres seront transférées au Panthéon en 1908.
2. Le contexte social et politique.Quand Zola a 8 ans, la Monarchie de Juillet est renversée. C'est la Deuxième République, qui disparaîtra très vite en 1851, avec le coup d'état de Louis-Napoléon, qui instaure le Second Empire. Napoléon III sera renversé lui-même en 1870, au début de la guerre francoprussienne. La Troisième République sera proclamée en 1871.
La seconde moitié du XIXème siècle est une période de progrès scientifiques et techniques. C'est aussi un siècle plein de grands bouleversements: la révolution industrielle et le capitalisme, l'exode rural, la constitution d'un prolétariat urbain, l'accroissement de la misère des pauvres, le pouvoir de la bourgeoisie, l'importance de l'argent, la naissance des idées socialistes et du syndicalisme.
3. L'affaire Dreyfus.
En octobre 1894, un officier de l'armée française, Alfred Dreyfus, d'origine juive, est accusé de haute trahison. II aurait vendu des renseignements militaires à l'Allemagne et à l'Italie.
Très vite, la presse s'empare de l'Affaire et les accusations contre le capitaine Dreyfus fusent de tous côtés: il serait ainsi un joueur effréné, il aurait la passion des femmes, etc.
Au même moment, la presse conservatrice en profite pour mener campagne contre la présence d'officiers juifs dans l'armée française. Les journaux catholiques se déchaînent littéralement contre les juifs qui deviennent tous des traîtres en puissance.
Quand Dreyfus est arrêté, diverses enquêtes sont menées sur lui, et notamment, son excellente connaissance de l'allemand joue en sa défaveur.
En réalité, le seul et unique document compromettant est un bordereau trouvé déchiré dans une poubelle qui prouve qu'un officier fournit des documents à l'Allemagne.
C'est un officier amateur de graphologie qui va comparer l'écriture de Dreyfus et celle du bordereau. D'autres personnes trouveront qu'il n'y a qu'une vague ressemblance entre les deux papiers mais cela suffit pour déférer Dreyfus devant le Conseil de Guerre.
Etant donné la façon dont la presse et l'opinion se sont emparées de l'Affaire, le pays va se trouver divisé en deux: d'un côté, les dreyfusards, généralement l'ensemble des progressistes - radicaux, socialistes et divers gauches - et, de l'autre, les anti-dreyfusards - les conservateurs, les antisémites et les catholiques. L'affaire s'envenime et dépasse même les frontières. Une partie de l'Europe s'intéresse au cas de l'officier juif.
Très vite, des intellectuels vont prendre la défense de Dreyfus. C'est le cas d'Emile Zola qui publie dans L'Aurore un pamphlet extrêmement violent qui dénonce la mauvaise foi de l'armée française, c'est son célèbre J'accuse qui le fera radier de la légion d'honneur et s'exiler en Angleterre en 1898.
Zola va se battre avec toute son énergie pour Dreyfus. Il va écrire une quantité impressionnante d'articles tous plus violents et plus brillants les uns que les autres. Et la révision du procès de Dreyfus puis sa grâce lui doivent énormément.
Autour de Germinal d'Émile Zola. Un auteur, une oeuvre, un film. Etude p, Présence et Action Culturelles, Bruxelles, 1993, page 18.
4. Le naturalisme. (seconde moitié du XIXème siècle)Les naturalistes veulent peindre la vie moderne (les usines, les gares, etc...) et ils s'intéressent à la vie quotidienne. Ils montrent la misère et ils dénoncent l'injustice sociale.
Les naturalistes sont marqués profondément par les idées d'Hippolyte Taine (18281893). Ce philosophe et historien déclare que le comportement des hommes est déterminé par des lois biologiques et physiques inscrites dans les gènes et qu'il ne dépend pas de son éducation, ni d'un choix personnel. Ainsi, les naturalistes pensaient que l'alcoolisme et d'autres vices étaient héréditaires. Ils croyaient aussi que l'homme était déterminé par le milieu dans lequel il vit.
5. Le naturalisme de Zola.Zola est influencé par les thèses de Taine, ainsi que par des ouvrages médicaux et scientifiques. Il admire beaucoup l'oeuvre. d'Honoré de Balzac, le maître du roman réaliste. Dans La Comédie Humaine (une série de romans), celui-ci a fait une véritable description de la société française de son époque.
Zola rêvait d'élaborer, à la manière de Balzac, une oeuvre grandiose, qu'il voulait réaliste et dans laquelle il appliquerait les théories scientifiques de son époque: c'est ainsi qu'il entreprend la rédaction des Rougon-Macquart.
Avant d'écrire un roman, Zola se documente donc d'une façon très complète sur le sujet en question: il lit des études, il rassemble toutes sortes de documents et il enquête sur le terrain. Mais cela ne l'empêche pas de faire un travail de romancier, c'est-à-dire qu'il invente des histoires et il imagine des situations, mais ses romans sont marqués par l'esprit positiviste de l'époque.
6. Le titre du roman.Germinal est le 7ième mois du calendrier républicain, le mois de la germination. A la fin du livre le printemps naissant éveille l'espoir que la justice naîtra parmi les hommes. Zola écrit lui-même dans une lettre: « Je cherchais un titre exprimant la poussée d'hommes nouveaux, l'effort que les travailleurs font, même inconsciemment, pour se dégager des ténèbres si laborieuses où ils s'agitent encore. »
Les mots de la mine
1.
- Je me nomme Etienne Lantier, je suis machineur... Il n'y a pas de travail ici?Les flammes l'éclairaient, il devait avoir vingt et un ans, très brun, joli homme, l'air fort malgré ses membres menus. Rassuré, le charretier hochait la tête.- Du travail pour un machineur, non, non... Il s'en est encore présenté deux hier. Il n'y a rien.Une rafale leur coupa la parole. Puis, Etienne demanda, en montrant le tas sombre des constructions, au pied du terri: - C'est une fosse, n'est-ce pas?Le vieux, cette fois, ne put répondre. Un violent accès de toux l'étranglait. Enfin, il cracha, et son crachat, sur le sol empourpré, laissa une tache noire.- Oui, une fosse, le Voreux... Tenez! le coron est tout près.A son tour, de son bras tendu, il désignait dans la nuit le village dont le jeune homme avait deviné les toitures.
page 30 (*)
2.
- Il y a longtemps, reprit-il, que vous travaillez à la mine? Bonnemort ouvrit tout grands les deux bras. - Longtemps, ah! oui!... Je n'avais pas huit ans, lorsque je suis descendu, tenez! juste dans le Voreux, et j'en ai cinquante-huit, à cette heure. Calculez un peu... J'ai tout fait là-dedans, galibot d'abord, puis herscheur, quand j'ai eu la force de rouler, puis haveur pendant dix-huit ans. Ensuite, à cause de mes sacrées jambes, ils m'ont mis de la coupe à terre, remblayeur, raccommodeur, jusqu'au moment où il leur a fallu me sortir du fond, parce que le médecin disait que j'allais y rester. Alors, il y a cinq années de cela, ils m'ont fait charretier... Hein? c'est joli, cinquante ans de mine, dont quarante- cinq au fond!Tandis qu'il parlait, des morceaux de houille enflammés, qui, par moments, tombaient de la corbeille, allumaient sa face blême d'un reflet sanglant.
page 35
3.
Etienne, descendu enfin du terri, venait d'entrer au Voreux; et les hommes auxquels il s'adressait, demandant s'il y avait du travail, hochaient la tête, lui disaient tous d'attendre le maître-porion. On le laissait libre, au milieu des bâtiments mal éclairés, pleins de trous noirs, inquiétants avec la complication de leurs salles et de leurs étages. Après avoir monté un escalier obscur à moitié détruit, il s'était trouvé sur une passerelle branlante, puis avait traversé le hangar du criblage, plongé dans une nuit si profonde, qu'il marchait les mains en avant, pour ne pas se heurter. Devant lui, brusquement, deux yeux jaunes, énormes, trouèrent les ténèbres. Il était sous le beffroi, dans la salle de recette, à la bouche même du puits.
page 53
4.
Maheu, dans la baraque, accroupi devant sa caisse, retirait ses sabots et ses gros bas de laine. Lorsque Etienne fut là, on régla tout en quatre paroles: trente sous par jour, un travail fatigant, mais qu'il apprendrait vite. Le haveur lui conseilla de garder ses souliers, et il lui prêta une vieille barrette, un chapeau de cuir destiné à garantir le crâne, précaution que le père et les enfants dédaignaient. Les outils furent sortis de la caisse, où se trouvait justement la pelle de Fleurance. Puis, quand Maheu y eut enfermé leurs sabots, leurs bas, ainsi que le paquet d'Etienne, il s'impatienta brusquement.
page 61
5.
Catherine, qui chauffait ses mains, dut suivre la bande. Etienne la laissa passer, monta derrière elle. De nouveau, il voyageait dans un dédale d'escaliers et de couloirs obscurs, où les pieds nus faisaient un bruit mou de vieux chaussons. Mais la lampisterie flamboya, une pièce vitrée, emplie de râteliers qui alignaient par étages des centaines de lampes Davy, visitées, lavées de la veille, allumées comme des cierges au fond d'une chapelle ardente. Au guichet, chaque ouvrier prenait la sienne, poinçonnée à son chiffre; puis, il l'examinait, la fermait lui-même; pendant que le marqueur, assis à une table, inscrivait sur le registre l'heure de la descente.
page 61-62
6.
Du reste, il ne pouvait distinguer les parois du puits, derrière le grillage où il collait sa face. Les lampes éclairaient mal le tassement des corps, à ses pieds. Seule, la lampe à feu libre du porion, dans la berline voisine, brillait comme un phare. - Celui-ci a quatre mètres de diamètre, continuait Maheu, pour l'instruire. Le cuvelage aurait bon besoin d'être refait, car l'eau filtre de tous côtés... Tenez! nous arrivons au niveau, entendez-vous? Etienne se demandait justement quel était ce bruit d'averse. Quelques grosses gouttes avaient d'abord sonné sur le toit de la cage, comme au début d'une ondée; et, maintenant, la pluie augmentait, ruisselait, se changeait en un véritable déluge.
page 64
7.
Les quatre haveurs venaient de s'allonger les uns au-dessus des autres, sur toute la montée du front de taille. Séparés par les planches à crochets qui retenaient le charbon abattu, ils occupaient chacun quatre mètres environ de la veine; et cette veine était si mince, épaisse à peine en cet endroit de cinquante centimètres, qu'ils se trouvaient là comme aplatis entre le toit et le mur, se traînant des genoux et des coudes, ne pouvant se retourner sans se meurtrir les épaules. Ils devaient, pour attaquer la houille, rester couchés sur le flanc, le cou tordu, les bras levés et brandissant de biais la rivelaine, le pic à manche court.
page 69
8.
Zacharie, les bras mous d'une noce de la veille, lâcha vite la besogne en prétextant la nécessité de boiser, ce qui lui permettait de s'oublier à siffler doucement, les yeux vagues dans l'ombre. Derrière les haveurs, près de trois mètres de la veine restaient vides, sans qu'ils eussent encore pris la précaution de soutenir la roche, insoucieux du danger et avares de leur temps.
page 70-71
9.
Il faisait, avec son pic une entaille dans le toit, puis une autre dans le mur; et il y calait les deux bouts du bois, qui étayait ainsi la roche. L'après-midi, les ouvriers de la coupe à terre prenaient les déblais laissés au fond de la galerie par les haveurs, et remblayaient les tranchées exploitées de la veine, où ils noyaient les bois, en ne ménageant que la voie inférieure et la voie supérieure, pour le roulage. Maheu cessa de geindre. Enfin, il avait détaché son bloc. Il essuya sur sa manche son visage ruisselant, il s'inquiéta de ce que Zacharie était monté faire derrière lui. - Laisse donc ça, dit-il. Nous verrons après déjeuner... Vaut mieux abattre, si nous voulons avoir notre compte de berlines. - C'est que, répondit le jeune homme, ça baisse. Regarde, il y a une gerçure. J'ai peur que ça n'éboule.
page 71
10.
A la vérité, ce n'était point un chemin commode. Il y avait une soixantaine de mètres, de la taille au plan incliné; et la voie, que les mineurs de la coupe à terre n'avaient pas encore élargie, était un véritable boyau, de toit très inégal, renflé de continuelles bosses: à certaines places, la berline chargée passait tout juste, le herscheur devait s'aplatir, pousser sur les genoux, pour ne pas se fendre la tête.
page 72-73
11.
En haut et en bas de ce plan, qui desservait toutes les tailles, d'un accrochage à un autre, se trouvait un galibot, le freineur en haut, le receveur en bas. Ces vauriens de douze à quinze ans se criaient des mots abominables; et, pour les avertir, il fallait en hurler de plus violents. Alors, dès qu'il y avait une berline vide à remonter, le receveur donnait le signal, la herscheuse emballait sa berline pleine, dont le poids faisait monter l'autre, quand le freineur desserrait son frein. En bas, dans la galerie du fond, se formaient les trains que les chevaux roulaient jusqu'au puits.
page 74
12.
- Viens, que je te montre quelque chose, murmura-t-elle d'un air de bonne amitié. Lorsqu'elle l'eut mené au fond de la taille, elle lui fit remarquer une crevasse, dans la houille. Un léger bouillonnement s'en échappait, un petit bruit, pareil à un sifflement d'oiseau. - Mets ta main, tu sens le vent... C'est du grisou. Il resta surpris. Ce n'était que ça, cette terrible chose qui faisait tout sauter? Elle riait, elle disait qu'il y en avait beaucoup ce jour-là, pour que la flamme des lampes fût si bleue.
page 81
13.
Dans la taille, le travail des haveurs avait repris. Souvent, ils abrégeaient le déjeuner, pour ne pas se refroidir; et leurs briquets, mangés aussi loin du soleil, avec une voracité muette, leur chargeaient de plomb l'estomac.
page 81(*)Les textes sont extraits de Germinal, Emile Zola, éd. Livre de Poche, coll. Classiques de Poche, Paris, 2000
Quelques extraits
Texte 1
- Vous savez, dit un soir Etienne, j'ai reçu une lettre de Pluchart. Il n'y avait plus là que Rasseneur. Le dernier client était parti, rentrant au coron qui se couchait. - Ah! s'écria le cabaretier, debout devant ses deux locataires. Où en est-il, Pluchart? Etienne, depuis deux mois, entretenait une correspondance suivie avec le mécanicien de Lille, auquel il avait eu l'idée d'apprendre son embauchement à Montsou, et qui maintenant l'endoctrinait, frappé de la propagande qu'il pouvait faire au milieu des mineurs. - Il en est, que l'association en question marche très bien. On adhère de tous les côtés, paraît-il. - Qu'est-ce que tu en dis, toi, de leur société? demanda Rasseneur à Souvarine. Celui-ci, qui grattait tendrement la tête de Pologne, souffla un jet de fumée, en murmurant de son air tranquille: - Encore des bêtises!Mais Etienne s'enflammait. Toute une prédisposition de révolte le jetait à la lutte du travail contre le capital, dans les illusions premières de son ignorance. C'était de l'Association internationale des travailleurs qu'il s'agissait, de cette fameuse Internationale qui venait de se créer à Londres. N'y avait-il pas là un effort superbe, une campagne où la justice allait enfin triompher? Plus de frontières, les travailleurs du monde entier se levant, s'unissant, pour assurer à l'ouvrier le pain qu'il gagne. Et quelle organisation simple et grande: en bas, la section, qui représente la commune; puis, la fédération, qui groupe les sections d'une même province; puis, la nation, et au-dessus, enfin, l'humanité, incarnée dans un Conseil général, où chaque nation était représentée par un secrétaire correspondant. Avant six mois, on aurait conquis la terre, on dicterait des lois aux patrons, s'ils faisaient les méchants. - Des bêtises! répéta Souvarine. Votre Karl Marx en est encore à vouloir laisser agir les forces naturelles. Pas de politique, pas de conspiration, n'est-ce pas? tout au grand jour, et uniquement pour la hausse des salaires... Fichez-moi donc la paix, avec votre évolution! Allumez le feu aux quatre coins des villes, fauchez les peuples, rasez tout, et quand il ne restera plus rien de ce monde pourri, peut-être en repoussera-t-il un meilleur. Etienne se mit à rire. Il n'entendait pas toujours les paroles de son camarade, cette théorie de la destruction lui semblait une pose. Rasseneur, encore plus pratique, et d'un bon sens d'homme établi, ne daigna pas se fâcher. Il voulait seulement préciser les choses.- Alors, quoi? tu vas tenter de créer une section à Montsou?C'était ce que désirait Pluchart, qui était secrétaire de la Fédération du Nord. Il insistait particulièrement sur les services que l'Association rendrait aux mineurs, s'ils se mettaient un jour en grève. Etienne, justement, croyait la grève prochaine: l'affaire des bois finirait mal, il ne fallait plus qu'une exigence de la Compagnie pour révolter toutes les fosses. - L'embêtant, c'est les cotisations, déclara Rasseneur d'un ton judicieux. Cinquante centimes par an pour le fonds général, deux francs pour la section, ça n'a l'air de rien, et je parie que beaucoup refuseront de les donner. - D'autant plus, ajouta Etienne, qu'on devrait d'abord créer ici une caisse de prévoyance, dont nous ferions à l'occasion une caisse de résistance... N'importe, il est temps de songer à ces choses. Moi, je suis prêt, si les autres sont prêts.
source: Germinal, E. Zola, libre de Poche, Paris, 2000; pages 177-179; Partie III, chapitre 1
Texte 2
Ce fut l'époque où Etienne entendit les idées qui bourdonnaient dans son crâne. Jusque-là, il n'avait eu que la révolte de l'instinct, au milieu de la sourde fermentation des camarades. Toutes sortes de questions confuses se posaient à lui: pourquoi la misère des uns? pourquoi la richesse des autres? pourquoi ceux-ci sous le talon de ceux-là, sans l'espoir de jamais prendre leur place? Et sa première étape fut de comprendre son ignorance. Une honte secrète, un chagrin caché le rongèrent dès lors: il ne savait rien, il n'osait causer de ces choses qui le passionnaient, l'égalité de tous les hommes, l'équité qui voulait un partage entre eux des biens de la terre. Aussi se prit- il pour l'étude du goût sans méthode des ignorants affolés de science. Maintenant, il était en correspondance régulière avec Pluchart, plus instruit, très lancé dans le mouvement socialiste. Il se fit envoyer des livres, dont la lecture mal digérée acheva de l'exalter: un livre de médecine surtout, l'Hygiène du mineur, où un docteur belge avait résumé les maux dont se meurt le peuple des houillères; sans compter des traités d'économie politique d'une aridité technique incompréhensible, des brochures anarchistes qui le bouleversaient, d'anciens numéros de journaux qu'il gardait ensuite comme des arguments irréfutables, dans des discussions possibles. Souvarine, du reste, lui prêtait aussi des volumes, et l'ouvrage sur les Sociétés coopératives l'avait fait rêver pendant un mois d'une association universelle d'échange, abolissant l'argent, basant sur le travail la vie sociale entière. La honte de son ignorance s'en allait, il lui venait un orgueil, depuis qu'il se sentait penser. Durant ces premiers mois, Etienne en resta au ravissement des néophytes, le coeur débordant d'indignations généreuses contre les oppresseurs, se jetant à l'espérance du prochain triomphe des opprimés. Il n'en était point encore à se fabriquer un système, dans le vague de ses lectures. Les revendications pratiques de Rasseneur se mêlaient en lui aux violences destructives de Souvarine; et, quand il sortait du cabaret de l'Avantage, où il continuait presque chaque jour à déblatérer avec eux contre la Compagnie, il marchait dans un rêve, il assistait à la régénération radicale des peuples, sans que cela dût coûter une vitre cassée ni une goutte de sang. D'ailleurs, les moyens d'exécution demeuraient obscurs, il préférait croire que les choses iraient très bien, car sa tête se perdait, dès qu'il voulait formuler un programme de reconstruction. Il se montrait même plein de modération et d'inconséquence, il répétait parfois qu'il fallait bannir la politique de la question sociale, une phrase qu'il avait lue et qui lui semblait bonne à dire, dans le milieu de houilleurs flegmatiques où il vivait.
source: Germinal, E. Zola, libre de Poche, Paris, 2000; pages 201-203; Partie III, chapitre 3
Texte 3
Etienne, hors de lui, tremblant de colère, les yeux dans les yeux du camarade [= Rasseneur], répétait en bégayant: - Tu as fait ça! tu as fait ça! - J'ai fait ça, parfaitement! Et tu sais pourtant si j'ai confiance en Pluchart! C'est un malin et un solide, on peut marcher avec lui... Mais, vois-tu, je me fous de vos idées, moi! La politique, le gouvernement, tout ça, je m'en fous! Ce que je désire, c'est que le mineur soit mieux traité. J'ai travaillé au fond pendant vingt ans, j'y ai sué tellement de misère et de fatigue, que je me suis juré d'obtenir des douceurs pour les pauvres bougres qui y sont encore; et, je le sens bien, vous n'obtiendrez rien du tout avec vos histoires, vous allez rendre le sort de l'ouvrier encore plus misérable... Quand il sera forcé par la faim de redescendre, on le salera davantage, la Compagnie le paiera à coups de trique, comme un chien échappé qu'on fait rentrer à la niche... Voilà ce que je veux empêcher, entends-tu? Il haussait la voix, lé ventre en avant, planté carrément sur ses grosses jambes. Et toute sa nature d'homme raisonnable et patient se confessait en phrases claires, qui coulaient abondantes, sans effort. Est-ce que ce n'était pas stupide de croire qu'on pouvait d'un coup changer le monde, mettre les ouvriers à la place des patrons, partager l'argent comme on partage une pomme? Il faudrait des mille ans et des mille ans pour que ça se réalisât peut-être. Alors, qu'on lui fichât la paix, avec les miracles! Le parti le plus sage, quand on ne voulait pas se casser le nez, c'était de marcher droit, d'exiger les réformes possibles, d'améliorer enfin le sort des travailleurs, dans toutes les occasions. Ainsi, lui se faisait fort, s'il s'en occupait, d'amener la Compagnie à des conditions meilleures; au lieu que, va te faire fiche! on y crèverait tous, en s'obstinant. [...]A chacune de ses courses au milieu des bancs, Etienne revenait vers le cabaretier[= Rasseneur], le saisissait par les épaules, le secouait, en lui criant ses réponses dans la face. - Mais, tonnerre de Dieu! je veux bien être calme. Oui, je leur ai imposé une discipline! oui, je leur conseille encore de ne pas bouger! Seulement, il ne faut pas qu'on se foute de nous, à la fin!... Tu es heureux de rester froid. Moi, il y a des heures où je sens ma tête qui déménage.C'était, de son côté, une confession. Il se raillait de ses illusions de néophyte, de son rêve religieux d'une cité où la justice allait régner bientôt, entre les hommes devenus frères. Un bon moyen vraiment, se croiser les bras et attendre, si l'on voulait voir les hommes se manger entre eux jusqu'à la fin du monde, comme des loups. Non! il fallait s'en mêler, autrement l'injustice serait éternelle, toujours les riches suceraient le sang des pauvres. Aussi ne se pardonnait-il pas la bêtise d'avoir dit autrefois qu'on devait bannir la politique de la question sociale. Il ne savait rien alors, et depuis il avait lu, il avait étudié. Maintenant, ses idées étaient mûres, il se vantait d'avoir un système. Pourtant, il l'expliquait mal, en phrases dont la confusion gardait un peu de toutes les théories traversées et successivement abandonnées. Au sommet, restait debout l'idée de Karl Marx: le capital était le résultat de la spoliation, le travail avaitle devoir et le droit de reconquérir cette richesse volée. Dans la pratique, il s'était d'abord, avec Proudhon, laissé prendre par la chimère du crédit mutuel, d'une vaste banque d'échange, qui supprimait les intermédiaires; puis, les sociétés coopératives de Lassalle, dotées par l'Etat, transformant peu à peu la terre en une seule ville industrielle, l'avaient passionné, jusqu'au jour où le dégoût lui en était venu, devant la difficulté du contrôle; et il en arrivait depuis peu au collectivisme, il demandait que tous les instruments du travail fussent rendus à la collectivité. Mais cela demeurait vague, il ne savait comment réaliser ce nouveau rêve, empêché encore par les scrupules de sa sensibilité et de sa raison, n'osant risquer les affirmations absolues des sectaires. Il en était simplement à dire qu'il s'agissait de s'emparer du gouvernement, avant tout. Ensuite, on verrait. [...]Brusquement, il s'arrêta devant Souvarine, il cria: - Vois-tu, si je savais coûter une goutte de sang à un ami, je filerais tout de suite en Amérique!Le machineur haussa les épaules, et un sourire amincit de nouveau ses lèvres.- Oh! du sang, murmura-t-il, qu'est-ce que ça fait? la terre en a besoin.Etienne, se calmant, prit une chaise et s'accouda de l'autre côté de la table. Cette face blonde, dont les yeux rêveurs s'ensauvageaient parfois d'une clarté rouge, l'inquiétait, exerçait sur sa volonté une action singulière. Sans que le camarade parlât, conquis par ce silence même, il se sentait absorbé peu à peu. - Voyons, demanda-t-il, que ferais-tu à ma place? N'ai-je pas raison de vouloir agir?... Le mieux, n'est-ce pas? est de nous mettre de cette Association. Souvarine, après avoir soufflé lentement un jet de fumée, répondit par son mot favori:- Oui, des bêtises! mais, en attendant, c'est toujours ça... D'ailleurs, leur Internationale va marcher bientôt. Il s'en occupe.- Qui donc?- Lui!Il avait prononcé ce mot à demi-voix, d'un air de ferveur religieuse, en jetant un regard vers l'Orient. C'était du maître qu'il parlait, de Bakounine l'exterminateur.- Lui seul peut donner le coup de massue, continua-t-il, tandis que tes savants sont des lâches, avec leur évolution... Avant trois ans, l'Internationale, sous ses ordres, doit écraser le vieux monde.Etienne tendait les oreilles, très attentif. Il brûlait de s'instruire, de comprendre ce culte de la destruction, sur lequel le machineur [= Souvarine] ne lâchait que de rares paroles obscures, comme s'il eût gardé pour lui les mystères. - Mais enfin explique-moi... Quel est votre but? - Tout détruire... Plus de nations, plus de gouvernements, plus de propriété, plus de Dieu ni de culte.- J'entends bien. Seulement, à quoi ça vous mène-t-il? - A la commune primitive et sans forme, à un monde nouveau, au recommencement de tout.- Et les moyens d'exécution? comment comptez-vous vous y prendre?- Par le feu, par le poison, par le poignard. Le brigand est le vrai héros, le vengeur populaire, le révolutionnaire en action, sans phrases puisées dans les livres. Il faut qu'une série d'effroyables attentats épouvantent les puissants et réveillent le peuple.
source: Germinal, E. Zola, libre de Poche, Paris, 2000; pages 276-277, 278-279, 281-282; Partie IV, chapitre 4
© Luc Van Kerchove, Corinne Mahout-Orange et FORMACOM.
http://www.form-a-com.org/article.php3?id_article=5
voir:
Zola et le naturalisme
1. Quelques éléments biographiques.Emile Zola est né à Paris en 1840. Son père est un ingénieur civil d'origine vénitienne. Sa famille s'installe à Aix-en-Provence en 1843. Emile y passe sa jeunesse. Son père meurt en 1847: c'est le début des difficultés financières pour la famille, qui s'installe de nouveau à Paris en 1858. L'année suivante, le jeune Zola abandonne ses études. Il travaille successivement à l'administration des docks et chez l'éditeur Hachette. A partir de 1868, il commence une carrière comme journaliste politique. Il se marie en 1870, mais à partir de 1887, il mène une double vie avec une maîtresse, qui lui donnera deux enfants.
Entre-temps, il s'est lié d'amitié avec le peintre Paul Cézanne et avec les grands écrivains de son époque tels que Guy de Maupassant, Gustave Flaubert, Alphonse Daudet, Stéphane Mallarmé et Ivan Tourgeniev. Il commence à publier des oeuvres littéraires à partir de 1860 par exemple, Contes à Ninon, une oeuvre d'inspiration romantique et Thérèse Raquin, un roman déjà influencé par le naturalisme. Vers 1868, Zola s'est lancé dans le cycle des Rougon-Macquart, une série de 20 romans dans lesquels il veut étudier l'Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire. Cette oeuvre majeure comporte des titres célèbres tels que L'Assommoir (l'alcoolisme des ouvriers), Germinal (le monde des mineurs) et La Bête humaine ( le monde des chemins de fer).
Le 13 janvier 1898, Zola prend la défense du capitaine Dreyfus dans J'accuse... !, un article historique publié dans le journal L'Aurore. Cette prise de position lui vaudra une année d'exil en Angleterre. Zola meurt à Paris en 1902. Ses cendres seront transférées au Panthéon en 1908.
2. Le contexte social et politique.Quand Zola a 8 ans, la Monarchie de Juillet est renversée. C'est la Deuxième République, qui disparaîtra très vite en 1851, avec le coup d'état de Louis-Napoléon, qui instaure le Second Empire. Napoléon III sera renversé lui-même en 1870, au début de la guerre francoprussienne. La Troisième République sera proclamée en 1871.
La seconde moitié du XIXème siècle est une période de progrès scientifiques et techniques. C'est aussi un siècle plein de grands bouleversements: la révolution industrielle et le capitalisme, l'exode rural, la constitution d'un prolétariat urbain, l'accroissement de la misère des pauvres, le pouvoir de la bourgeoisie, l'importance de l'argent, la naissance des idées socialistes et du syndicalisme.
3. L'affaire Dreyfus.
En octobre 1894, un officier de l'armée française, Alfred Dreyfus, d'origine juive, est accusé de haute trahison. II aurait vendu des renseignements militaires à l'Allemagne et à l'Italie.
Très vite, la presse s'empare de l'Affaire et les accusations contre le capitaine Dreyfus fusent de tous côtés: il serait ainsi un joueur effréné, il aurait la passion des femmes, etc.
Au même moment, la presse conservatrice en profite pour mener campagne contre la présence d'officiers juifs dans l'armée française. Les journaux catholiques se déchaînent littéralement contre les juifs qui deviennent tous des traîtres en puissance.
Quand Dreyfus est arrêté, diverses enquêtes sont menées sur lui, et notamment, son excellente connaissance de l'allemand joue en sa défaveur.
En réalité, le seul et unique document compromettant est un bordereau trouvé déchiré dans une poubelle qui prouve qu'un officier fournit des documents à l'Allemagne.
C'est un officier amateur de graphologie qui va comparer l'écriture de Dreyfus et celle du bordereau. D'autres personnes trouveront qu'il n'y a qu'une vague ressemblance entre les deux papiers mais cela suffit pour déférer Dreyfus devant le Conseil de Guerre.
Etant donné la façon dont la presse et l'opinion se sont emparées de l'Affaire, le pays va se trouver divisé en deux: d'un côté, les dreyfusards, généralement l'ensemble des progressistes - radicaux, socialistes et divers gauches - et, de l'autre, les anti-dreyfusards - les conservateurs, les antisémites et les catholiques. L'affaire s'envenime et dépasse même les frontières. Une partie de l'Europe s'intéresse au cas de l'officier juif.
Très vite, des intellectuels vont prendre la défense de Dreyfus. C'est le cas d'Emile Zola qui publie dans L'Aurore un pamphlet extrêmement violent qui dénonce la mauvaise foi de l'armée française, c'est son célèbre J'accuse qui le fera radier de la légion d'honneur et s'exiler en Angleterre en 1898.
Zola va se battre avec toute son énergie pour Dreyfus. Il va écrire une quantité impressionnante d'articles tous plus violents et plus brillants les uns que les autres. Et la révision du procès de Dreyfus puis sa grâce lui doivent énormément.
Autour de Germinal d'Émile Zola. Un auteur, une oeuvre, un film. Etude p, Présence et Action Culturelles, Bruxelles, 1993, page 18.
4. Le naturalisme. (seconde moitié du XIXème siècle)Les naturalistes veulent peindre la vie moderne (les usines, les gares, etc...) et ils s'intéressent à la vie quotidienne. Ils montrent la misère et ils dénoncent l'injustice sociale.
Les naturalistes sont marqués profondément par les idées d'Hippolyte Taine (18281893). Ce philosophe et historien déclare que le comportement des hommes est déterminé par des lois biologiques et physiques inscrites dans les gènes et qu'il ne dépend pas de son éducation, ni d'un choix personnel. Ainsi, les naturalistes pensaient que l'alcoolisme et d'autres vices étaient héréditaires. Ils croyaient aussi que l'homme était déterminé par le milieu dans lequel il vit.
5. Le naturalisme de Zola.Zola est influencé par les thèses de Taine, ainsi que par des ouvrages médicaux et scientifiques. Il admire beaucoup l'oeuvre. d'Honoré de Balzac, le maître du roman réaliste. Dans La Comédie Humaine (une série de romans), celui-ci a fait une véritable description de la société française de son époque.
Zola rêvait d'élaborer, à la manière de Balzac, une oeuvre grandiose, qu'il voulait réaliste et dans laquelle il appliquerait les théories scientifiques de son époque: c'est ainsi qu'il entreprend la rédaction des Rougon-Macquart.
Avant d'écrire un roman, Zola se documente donc d'une façon très complète sur le sujet en question: il lit des études, il rassemble toutes sortes de documents et il enquête sur le terrain. Mais cela ne l'empêche pas de faire un travail de romancier, c'est-à-dire qu'il invente des histoires et il imagine des situations, mais ses romans sont marqués par l'esprit positiviste de l'époque.
6. Le titre du roman.Germinal est le 7ième mois du calendrier républicain, le mois de la germination. A la fin du livre le printemps naissant éveille l'espoir que la justice naîtra parmi les hommes. Zola écrit lui-même dans une lettre: « Je cherchais un titre exprimant la poussée d'hommes nouveaux, l'effort que les travailleurs font, même inconsciemment, pour se dégager des ténèbres si laborieuses où ils s'agitent encore. »
Les mots de la mine
1.
- Je me nomme Etienne Lantier, je suis machineur... Il n'y a pas de travail ici?Les flammes l'éclairaient, il devait avoir vingt et un ans, très brun, joli homme, l'air fort malgré ses membres menus. Rassuré, le charretier hochait la tête.- Du travail pour un machineur, non, non... Il s'en est encore présenté deux hier. Il n'y a rien.Une rafale leur coupa la parole. Puis, Etienne demanda, en montrant le tas sombre des constructions, au pied du terri: - C'est une fosse, n'est-ce pas?Le vieux, cette fois, ne put répondre. Un violent accès de toux l'étranglait. Enfin, il cracha, et son crachat, sur le sol empourpré, laissa une tache noire.- Oui, une fosse, le Voreux... Tenez! le coron est tout près.A son tour, de son bras tendu, il désignait dans la nuit le village dont le jeune homme avait deviné les toitures.
page 30 (*)
2.
- Il y a longtemps, reprit-il, que vous travaillez à la mine? Bonnemort ouvrit tout grands les deux bras. - Longtemps, ah! oui!... Je n'avais pas huit ans, lorsque je suis descendu, tenez! juste dans le Voreux, et j'en ai cinquante-huit, à cette heure. Calculez un peu... J'ai tout fait là-dedans, galibot d'abord, puis herscheur, quand j'ai eu la force de rouler, puis haveur pendant dix-huit ans. Ensuite, à cause de mes sacrées jambes, ils m'ont mis de la coupe à terre, remblayeur, raccommodeur, jusqu'au moment où il leur a fallu me sortir du fond, parce que le médecin disait que j'allais y rester. Alors, il y a cinq années de cela, ils m'ont fait charretier... Hein? c'est joli, cinquante ans de mine, dont quarante- cinq au fond!Tandis qu'il parlait, des morceaux de houille enflammés, qui, par moments, tombaient de la corbeille, allumaient sa face blême d'un reflet sanglant.
page 35
3.
Etienne, descendu enfin du terri, venait d'entrer au Voreux; et les hommes auxquels il s'adressait, demandant s'il y avait du travail, hochaient la tête, lui disaient tous d'attendre le maître-porion. On le laissait libre, au milieu des bâtiments mal éclairés, pleins de trous noirs, inquiétants avec la complication de leurs salles et de leurs étages. Après avoir monté un escalier obscur à moitié détruit, il s'était trouvé sur une passerelle branlante, puis avait traversé le hangar du criblage, plongé dans une nuit si profonde, qu'il marchait les mains en avant, pour ne pas se heurter. Devant lui, brusquement, deux yeux jaunes, énormes, trouèrent les ténèbres. Il était sous le beffroi, dans la salle de recette, à la bouche même du puits.
page 53
4.
Maheu, dans la baraque, accroupi devant sa caisse, retirait ses sabots et ses gros bas de laine. Lorsque Etienne fut là, on régla tout en quatre paroles: trente sous par jour, un travail fatigant, mais qu'il apprendrait vite. Le haveur lui conseilla de garder ses souliers, et il lui prêta une vieille barrette, un chapeau de cuir destiné à garantir le crâne, précaution que le père et les enfants dédaignaient. Les outils furent sortis de la caisse, où se trouvait justement la pelle de Fleurance. Puis, quand Maheu y eut enfermé leurs sabots, leurs bas, ainsi que le paquet d'Etienne, il s'impatienta brusquement.
page 61
5.
Catherine, qui chauffait ses mains, dut suivre la bande. Etienne la laissa passer, monta derrière elle. De nouveau, il voyageait dans un dédale d'escaliers et de couloirs obscurs, où les pieds nus faisaient un bruit mou de vieux chaussons. Mais la lampisterie flamboya, une pièce vitrée, emplie de râteliers qui alignaient par étages des centaines de lampes Davy, visitées, lavées de la veille, allumées comme des cierges au fond d'une chapelle ardente. Au guichet, chaque ouvrier prenait la sienne, poinçonnée à son chiffre; puis, il l'examinait, la fermait lui-même; pendant que le marqueur, assis à une table, inscrivait sur le registre l'heure de la descente.
page 61-62
6.
Du reste, il ne pouvait distinguer les parois du puits, derrière le grillage où il collait sa face. Les lampes éclairaient mal le tassement des corps, à ses pieds. Seule, la lampe à feu libre du porion, dans la berline voisine, brillait comme un phare. - Celui-ci a quatre mètres de diamètre, continuait Maheu, pour l'instruire. Le cuvelage aurait bon besoin d'être refait, car l'eau filtre de tous côtés... Tenez! nous arrivons au niveau, entendez-vous? Etienne se demandait justement quel était ce bruit d'averse. Quelques grosses gouttes avaient d'abord sonné sur le toit de la cage, comme au début d'une ondée; et, maintenant, la pluie augmentait, ruisselait, se changeait en un véritable déluge.
page 64
7.
Les quatre haveurs venaient de s'allonger les uns au-dessus des autres, sur toute la montée du front de taille. Séparés par les planches à crochets qui retenaient le charbon abattu, ils occupaient chacun quatre mètres environ de la veine; et cette veine était si mince, épaisse à peine en cet endroit de cinquante centimètres, qu'ils se trouvaient là comme aplatis entre le toit et le mur, se traînant des genoux et des coudes, ne pouvant se retourner sans se meurtrir les épaules. Ils devaient, pour attaquer la houille, rester couchés sur le flanc, le cou tordu, les bras levés et brandissant de biais la rivelaine, le pic à manche court.
page 69
8.
Zacharie, les bras mous d'une noce de la veille, lâcha vite la besogne en prétextant la nécessité de boiser, ce qui lui permettait de s'oublier à siffler doucement, les yeux vagues dans l'ombre. Derrière les haveurs, près de trois mètres de la veine restaient vides, sans qu'ils eussent encore pris la précaution de soutenir la roche, insoucieux du danger et avares de leur temps.
page 70-71
9.
Il faisait, avec son pic une entaille dans le toit, puis une autre dans le mur; et il y calait les deux bouts du bois, qui étayait ainsi la roche. L'après-midi, les ouvriers de la coupe à terre prenaient les déblais laissés au fond de la galerie par les haveurs, et remblayaient les tranchées exploitées de la veine, où ils noyaient les bois, en ne ménageant que la voie inférieure et la voie supérieure, pour le roulage. Maheu cessa de geindre. Enfin, il avait détaché son bloc. Il essuya sur sa manche son visage ruisselant, il s'inquiéta de ce que Zacharie était monté faire derrière lui. - Laisse donc ça, dit-il. Nous verrons après déjeuner... Vaut mieux abattre, si nous voulons avoir notre compte de berlines. - C'est que, répondit le jeune homme, ça baisse. Regarde, il y a une gerçure. J'ai peur que ça n'éboule.
page 71
10.
A la vérité, ce n'était point un chemin commode. Il y avait une soixantaine de mètres, de la taille au plan incliné; et la voie, que les mineurs de la coupe à terre n'avaient pas encore élargie, était un véritable boyau, de toit très inégal, renflé de continuelles bosses: à certaines places, la berline chargée passait tout juste, le herscheur devait s'aplatir, pousser sur les genoux, pour ne pas se fendre la tête.
page 72-73
11.
En haut et en bas de ce plan, qui desservait toutes les tailles, d'un accrochage à un autre, se trouvait un galibot, le freineur en haut, le receveur en bas. Ces vauriens de douze à quinze ans se criaient des mots abominables; et, pour les avertir, il fallait en hurler de plus violents. Alors, dès qu'il y avait une berline vide à remonter, le receveur donnait le signal, la herscheuse emballait sa berline pleine, dont le poids faisait monter l'autre, quand le freineur desserrait son frein. En bas, dans la galerie du fond, se formaient les trains que les chevaux roulaient jusqu'au puits.
page 74
12.
- Viens, que je te montre quelque chose, murmura-t-elle d'un air de bonne amitié. Lorsqu'elle l'eut mené au fond de la taille, elle lui fit remarquer une crevasse, dans la houille. Un léger bouillonnement s'en échappait, un petit bruit, pareil à un sifflement d'oiseau. - Mets ta main, tu sens le vent... C'est du grisou. Il resta surpris. Ce n'était que ça, cette terrible chose qui faisait tout sauter? Elle riait, elle disait qu'il y en avait beaucoup ce jour-là, pour que la flamme des lampes fût si bleue.
page 81
13.
Dans la taille, le travail des haveurs avait repris. Souvent, ils abrégeaient le déjeuner, pour ne pas se refroidir; et leurs briquets, mangés aussi loin du soleil, avec une voracité muette, leur chargeaient de plomb l'estomac.
page 81(*)Les textes sont extraits de Germinal, Emile Zola, éd. Livre de Poche, coll. Classiques de Poche, Paris, 2000
Quelques extraits
Texte 1
- Vous savez, dit un soir Etienne, j'ai reçu une lettre de Pluchart. Il n'y avait plus là que Rasseneur. Le dernier client était parti, rentrant au coron qui se couchait. - Ah! s'écria le cabaretier, debout devant ses deux locataires. Où en est-il, Pluchart? Etienne, depuis deux mois, entretenait une correspondance suivie avec le mécanicien de Lille, auquel il avait eu l'idée d'apprendre son embauchement à Montsou, et qui maintenant l'endoctrinait, frappé de la propagande qu'il pouvait faire au milieu des mineurs. - Il en est, que l'association en question marche très bien. On adhère de tous les côtés, paraît-il. - Qu'est-ce que tu en dis, toi, de leur société? demanda Rasseneur à Souvarine. Celui-ci, qui grattait tendrement la tête de Pologne, souffla un jet de fumée, en murmurant de son air tranquille: - Encore des bêtises!Mais Etienne s'enflammait. Toute une prédisposition de révolte le jetait à la lutte du travail contre le capital, dans les illusions premières de son ignorance. C'était de l'Association internationale des travailleurs qu'il s'agissait, de cette fameuse Internationale qui venait de se créer à Londres. N'y avait-il pas là un effort superbe, une campagne où la justice allait enfin triompher? Plus de frontières, les travailleurs du monde entier se levant, s'unissant, pour assurer à l'ouvrier le pain qu'il gagne. Et quelle organisation simple et grande: en bas, la section, qui représente la commune; puis, la fédération, qui groupe les sections d'une même province; puis, la nation, et au-dessus, enfin, l'humanité, incarnée dans un Conseil général, où chaque nation était représentée par un secrétaire correspondant. Avant six mois, on aurait conquis la terre, on dicterait des lois aux patrons, s'ils faisaient les méchants. - Des bêtises! répéta Souvarine. Votre Karl Marx en est encore à vouloir laisser agir les forces naturelles. Pas de politique, pas de conspiration, n'est-ce pas? tout au grand jour, et uniquement pour la hausse des salaires... Fichez-moi donc la paix, avec votre évolution! Allumez le feu aux quatre coins des villes, fauchez les peuples, rasez tout, et quand il ne restera plus rien de ce monde pourri, peut-être en repoussera-t-il un meilleur. Etienne se mit à rire. Il n'entendait pas toujours les paroles de son camarade, cette théorie de la destruction lui semblait une pose. Rasseneur, encore plus pratique, et d'un bon sens d'homme établi, ne daigna pas se fâcher. Il voulait seulement préciser les choses.- Alors, quoi? tu vas tenter de créer une section à Montsou?C'était ce que désirait Pluchart, qui était secrétaire de la Fédération du Nord. Il insistait particulièrement sur les services que l'Association rendrait aux mineurs, s'ils se mettaient un jour en grève. Etienne, justement, croyait la grève prochaine: l'affaire des bois finirait mal, il ne fallait plus qu'une exigence de la Compagnie pour révolter toutes les fosses. - L'embêtant, c'est les cotisations, déclara Rasseneur d'un ton judicieux. Cinquante centimes par an pour le fonds général, deux francs pour la section, ça n'a l'air de rien, et je parie que beaucoup refuseront de les donner. - D'autant plus, ajouta Etienne, qu'on devrait d'abord créer ici une caisse de prévoyance, dont nous ferions à l'occasion une caisse de résistance... N'importe, il est temps de songer à ces choses. Moi, je suis prêt, si les autres sont prêts.
source: Germinal, E. Zola, libre de Poche, Paris, 2000; pages 177-179; Partie III, chapitre 1
Texte 2
Ce fut l'époque où Etienne entendit les idées qui bourdonnaient dans son crâne. Jusque-là, il n'avait eu que la révolte de l'instinct, au milieu de la sourde fermentation des camarades. Toutes sortes de questions confuses se posaient à lui: pourquoi la misère des uns? pourquoi la richesse des autres? pourquoi ceux-ci sous le talon de ceux-là, sans l'espoir de jamais prendre leur place? Et sa première étape fut de comprendre son ignorance. Une honte secrète, un chagrin caché le rongèrent dès lors: il ne savait rien, il n'osait causer de ces choses qui le passionnaient, l'égalité de tous les hommes, l'équité qui voulait un partage entre eux des biens de la terre. Aussi se prit- il pour l'étude du goût sans méthode des ignorants affolés de science. Maintenant, il était en correspondance régulière avec Pluchart, plus instruit, très lancé dans le mouvement socialiste. Il se fit envoyer des livres, dont la lecture mal digérée acheva de l'exalter: un livre de médecine surtout, l'Hygiène du mineur, où un docteur belge avait résumé les maux dont se meurt le peuple des houillères; sans compter des traités d'économie politique d'une aridité technique incompréhensible, des brochures anarchistes qui le bouleversaient, d'anciens numéros de journaux qu'il gardait ensuite comme des arguments irréfutables, dans des discussions possibles. Souvarine, du reste, lui prêtait aussi des volumes, et l'ouvrage sur les Sociétés coopératives l'avait fait rêver pendant un mois d'une association universelle d'échange, abolissant l'argent, basant sur le travail la vie sociale entière. La honte de son ignorance s'en allait, il lui venait un orgueil, depuis qu'il se sentait penser. Durant ces premiers mois, Etienne en resta au ravissement des néophytes, le coeur débordant d'indignations généreuses contre les oppresseurs, se jetant à l'espérance du prochain triomphe des opprimés. Il n'en était point encore à se fabriquer un système, dans le vague de ses lectures. Les revendications pratiques de Rasseneur se mêlaient en lui aux violences destructives de Souvarine; et, quand il sortait du cabaret de l'Avantage, où il continuait presque chaque jour à déblatérer avec eux contre la Compagnie, il marchait dans un rêve, il assistait à la régénération radicale des peuples, sans que cela dût coûter une vitre cassée ni une goutte de sang. D'ailleurs, les moyens d'exécution demeuraient obscurs, il préférait croire que les choses iraient très bien, car sa tête se perdait, dès qu'il voulait formuler un programme de reconstruction. Il se montrait même plein de modération et d'inconséquence, il répétait parfois qu'il fallait bannir la politique de la question sociale, une phrase qu'il avait lue et qui lui semblait bonne à dire, dans le milieu de houilleurs flegmatiques où il vivait.
source: Germinal, E. Zola, libre de Poche, Paris, 2000; pages 201-203; Partie III, chapitre 3
Texte 3
Etienne, hors de lui, tremblant de colère, les yeux dans les yeux du camarade [= Rasseneur], répétait en bégayant: - Tu as fait ça! tu as fait ça! - J'ai fait ça, parfaitement! Et tu sais pourtant si j'ai confiance en Pluchart! C'est un malin et un solide, on peut marcher avec lui... Mais, vois-tu, je me fous de vos idées, moi! La politique, le gouvernement, tout ça, je m'en fous! Ce que je désire, c'est que le mineur soit mieux traité. J'ai travaillé au fond pendant vingt ans, j'y ai sué tellement de misère et de fatigue, que je me suis juré d'obtenir des douceurs pour les pauvres bougres qui y sont encore; et, je le sens bien, vous n'obtiendrez rien du tout avec vos histoires, vous allez rendre le sort de l'ouvrier encore plus misérable... Quand il sera forcé par la faim de redescendre, on le salera davantage, la Compagnie le paiera à coups de trique, comme un chien échappé qu'on fait rentrer à la niche... Voilà ce que je veux empêcher, entends-tu? Il haussait la voix, lé ventre en avant, planté carrément sur ses grosses jambes. Et toute sa nature d'homme raisonnable et patient se confessait en phrases claires, qui coulaient abondantes, sans effort. Est-ce que ce n'était pas stupide de croire qu'on pouvait d'un coup changer le monde, mettre les ouvriers à la place des patrons, partager l'argent comme on partage une pomme? Il faudrait des mille ans et des mille ans pour que ça se réalisât peut-être. Alors, qu'on lui fichât la paix, avec les miracles! Le parti le plus sage, quand on ne voulait pas se casser le nez, c'était de marcher droit, d'exiger les réformes possibles, d'améliorer enfin le sort des travailleurs, dans toutes les occasions. Ainsi, lui se faisait fort, s'il s'en occupait, d'amener la Compagnie à des conditions meilleures; au lieu que, va te faire fiche! on y crèverait tous, en s'obstinant. [...]A chacune de ses courses au milieu des bancs, Etienne revenait vers le cabaretier[= Rasseneur], le saisissait par les épaules, le secouait, en lui criant ses réponses dans la face. - Mais, tonnerre de Dieu! je veux bien être calme. Oui, je leur ai imposé une discipline! oui, je leur conseille encore de ne pas bouger! Seulement, il ne faut pas qu'on se foute de nous, à la fin!... Tu es heureux de rester froid. Moi, il y a des heures où je sens ma tête qui déménage.C'était, de son côté, une confession. Il se raillait de ses illusions de néophyte, de son rêve religieux d'une cité où la justice allait régner bientôt, entre les hommes devenus frères. Un bon moyen vraiment, se croiser les bras et attendre, si l'on voulait voir les hommes se manger entre eux jusqu'à la fin du monde, comme des loups. Non! il fallait s'en mêler, autrement l'injustice serait éternelle, toujours les riches suceraient le sang des pauvres. Aussi ne se pardonnait-il pas la bêtise d'avoir dit autrefois qu'on devait bannir la politique de la question sociale. Il ne savait rien alors, et depuis il avait lu, il avait étudié. Maintenant, ses idées étaient mûres, il se vantait d'avoir un système. Pourtant, il l'expliquait mal, en phrases dont la confusion gardait un peu de toutes les théories traversées et successivement abandonnées. Au sommet, restait debout l'idée de Karl Marx: le capital était le résultat de la spoliation, le travail avaitle devoir et le droit de reconquérir cette richesse volée. Dans la pratique, il s'était d'abord, avec Proudhon, laissé prendre par la chimère du crédit mutuel, d'une vaste banque d'échange, qui supprimait les intermédiaires; puis, les sociétés coopératives de Lassalle, dotées par l'Etat, transformant peu à peu la terre en une seule ville industrielle, l'avaient passionné, jusqu'au jour où le dégoût lui en était venu, devant la difficulté du contrôle; et il en arrivait depuis peu au collectivisme, il demandait que tous les instruments du travail fussent rendus à la collectivité. Mais cela demeurait vague, il ne savait comment réaliser ce nouveau rêve, empêché encore par les scrupules de sa sensibilité et de sa raison, n'osant risquer les affirmations absolues des sectaires. Il en était simplement à dire qu'il s'agissait de s'emparer du gouvernement, avant tout. Ensuite, on verrait. [...]Brusquement, il s'arrêta devant Souvarine, il cria: - Vois-tu, si je savais coûter une goutte de sang à un ami, je filerais tout de suite en Amérique!Le machineur haussa les épaules, et un sourire amincit de nouveau ses lèvres.- Oh! du sang, murmura-t-il, qu'est-ce que ça fait? la terre en a besoin.Etienne, se calmant, prit une chaise et s'accouda de l'autre côté de la table. Cette face blonde, dont les yeux rêveurs s'ensauvageaient parfois d'une clarté rouge, l'inquiétait, exerçait sur sa volonté une action singulière. Sans que le camarade parlât, conquis par ce silence même, il se sentait absorbé peu à peu. - Voyons, demanda-t-il, que ferais-tu à ma place? N'ai-je pas raison de vouloir agir?... Le mieux, n'est-ce pas? est de nous mettre de cette Association. Souvarine, après avoir soufflé lentement un jet de fumée, répondit par son mot favori:- Oui, des bêtises! mais, en attendant, c'est toujours ça... D'ailleurs, leur Internationale va marcher bientôt. Il s'en occupe.- Qui donc?- Lui!Il avait prononcé ce mot à demi-voix, d'un air de ferveur religieuse, en jetant un regard vers l'Orient. C'était du maître qu'il parlait, de Bakounine l'exterminateur.- Lui seul peut donner le coup de massue, continua-t-il, tandis que tes savants sont des lâches, avec leur évolution... Avant trois ans, l'Internationale, sous ses ordres, doit écraser le vieux monde.Etienne tendait les oreilles, très attentif. Il brûlait de s'instruire, de comprendre ce culte de la destruction, sur lequel le machineur [= Souvarine] ne lâchait que de rares paroles obscures, comme s'il eût gardé pour lui les mystères. - Mais enfin explique-moi... Quel est votre but? - Tout détruire... Plus de nations, plus de gouvernements, plus de propriété, plus de Dieu ni de culte.- J'entends bien. Seulement, à quoi ça vous mène-t-il? - A la commune primitive et sans forme, à un monde nouveau, au recommencement de tout.- Et les moyens d'exécution? comment comptez-vous vous y prendre?- Par le feu, par le poison, par le poignard. Le brigand est le vrai héros, le vengeur populaire, le révolutionnaire en action, sans phrases puisées dans les livres. Il faut qu'une série d'effroyables attentats épouvantent les puissants et réveillent le peuple.
source: Germinal, E. Zola, libre de Poche, Paris, 2000; pages 276-277, 278-279, 281-282; Partie IV, chapitre 4
© Luc Van Kerchove, Corinne Mahout-Orange et FORMACOM.
mercoledì 2 maggio 2007
Germinal (film, 1993)
GERMINAL ( film, 1993)
Synopsis
Vers la fin du XIXe siècle, Etienne Lantier, manœuvre au chômage, arrive à la mine "Le Voreux", dans le nord de la France. Après la mort d'une mineuse du nom de Florence, il est engagé. Il est envoyé dans un petit groupe dirigé par Toussaint Maheu, qui deviendra son ami. Etienne tombe amoureux de la jeune Catherine, hélas fiancée de Chaval. Mais les conditions de travail se dégradent, une grève risque d'éclater prochainement...
VOIR LA SUITE SUR:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Germinal_(film,_1993)
Synopsis
Vers la fin du XIXe siècle, Etienne Lantier, manœuvre au chômage, arrive à la mine "Le Voreux", dans le nord de la France. Après la mort d'une mineuse du nom de Florence, il est engagé. Il est envoyé dans un petit groupe dirigé par Toussaint Maheu, qui deviendra son ami. Etienne tombe amoureux de la jeune Catherine, hélas fiancée de Chaval. Mais les conditions de travail se dégradent, une grève risque d'éclater prochainement...
VOIR LA SUITE SUR:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Germinal_(film,_1993)
Iscriviti a:
Post (Atom)